Ernest Prigent qui restera très marqué par l'arrestation et la déportation de ses amis protestants, interviendra à de nombreuses reprises lors des cérémonies commémoratives pour leur rendre hommage après-guerre.
Ernest Prigent reçoit la Légion d’Honneur en novembre 1954 à l’Hôtel de Ville de Saint-Brieuc. L'édition de Ouest-France du 4 novembre 1954 nous en fournit les détails et c'est l'occasion de revenir sur son parcours dans la Résistance.
De nombreuses personnalités sont présentes dont Victor Rault, le maire ; M. Royer, maire au moment de la Libération ; des adjoints ; le docteur Hansen, parrain du récipiendaire ; Mme Avril, épouse du défunt préfet Henri Avril ; Adolphe Vallée, président du tribunal de commerce et ancien chef de la Résistance ; Maître Fairier, notaire à La Chèze, conseiller général et maire ; des représentants de différentes associations patriotiques ; Oscar Hansen ; son gendre Jean Huck ; le pasteur Marquer…
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Le docteur Hansen, Ernest Prigent, Victor Rault |
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Légion d'Honneur E.Prigent 5 novembre 1954 Ouest-France |
Victor Rault « souligne l’action municipale de M. Prigent, sa compétence en matière de logements, ses idées pour contribuer à résoudre le problème des taudis.
Le docteur Hansen, président de l’A.D.I.F, prononce une émouvante allocution. Les assistants l’écoutent en se reportant 11 ans en arrière. C’est d’abord le rappel de la mort du pasteur Crespin et des camarades déportés, torturés en Allemagne dans les camps nazis ; la mort de Georges Bessis et combien d’autres…
Le docteur Hansen rappelle les arrestations en 1943, le départ en janvier 44, l’activité de M. Prigent, aidant le pasteur protestant à secourir les « déserteurs » alsaciens, en leur procurant un abri, des papiers, un travail, en aidant les réfractaires, les parachutistes qu’il fallait héberger avant de les aiguiller sur l’Angleterre.
M. Prigent a su, grâce à son tempérament, à son intelligence, à ses fonctions de Président des carbonisateurs du département, à son audace et à sa bravoure, servir la Résistance sous toutes ses formes.»
Ernest Prigent « a conscience d’avoir fait de son mieux pour servir. Il a joué un rôle d’agent de liaison, rôle dangereux, mais il a été bien secondé à son usine de Plémet, dans les contacts avec des résistants, dans les groupes qui s’ignoraient, dans l’étude des plans, des casemates, des réseaux de défense de la côte, renseignements fournis ensuite aux alliés, par postes émetteurs, et M. Prigent termine en montrant la Résistance sous son vrai visage et le beau rôle qu’elle a joué en faisant échec à sept divisions allemandes. »
Rappelons qu’Ernest Prigent occupait le grade de Lieutenant dans les forces de Libération dans le secteur de Plémet-La Chèze.
Dans sa fiche de recensement militaire on apprend aussi que sa légion d’Honneur lui est attribuée pour son rôle d’agent de liaison « entre le Préfet de Villeneuve et un général en février 1944. Il a occupé d’une façon constante une dizaine de réfractaires au travail forcé en Allemagne. A toujours fait preuve durant l’Occupation d’une attitude courageuse et ferme devant les exigences allemandes comme exploitant forestier. Belle figure de patriote ». Cette nomination comporte l’attribution de la Croix de guerre avec Palme.
Ernest Prigent fut aussi décoré de l'Ordre national du mérite.
"Je me souviens qu'un jour dans le cours de l'aumônerie au Lycée Le Braz, avec le pasteur Crespin, nous avions eu une composition sur le Notre Père. En rendant les copies, le pasteur m'a dit : "C'est très bien, vous avez vu qu'il y a deux parties différentes dans cette prière, l'adoration de Dieu et l'aspect pratique".
Pierre Prigent évoque dans ses souvenirs
d'enfance les cours de l'aumônerie du
Lycée.
"J'avais dans ma classe le fils du
Préfet (protestant) qui transmettait une image quelque peu déformée et un
pasteur qui violait l'ordre établi, un pasteur qui faisait scandale en se
faisant emprisonner !"
Ernest Prigent et la carbonisation du bois
Arrivé de Strasbourg, Ernest Prigent va créer une entreprise de carbonisation du bois par gazogène. Après deux fours expérimentaux, il construit cinquante fours métalliques pouvant produire vingt tonnes de charbon de bois par jour. En décembre 1940, avec M. de Lourmel, il implante 50 fours dans la Mayenne, atteignant une production de 50 00 tonnes par an pour les deux sociétés. Malgré son arrestation pendant trois mois en 1943, son entreprise continue de tourner. A la fin de la guerre, le retour de l’essence rend inutile la fabrication de charbon de bois pour les gazogènes.
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Camion avec gazogène, années 40 |
Ernest Prigent ingénieur et entrepreneur à Saint-Brieuc
Conscient de l’effort énorme de reconstruction du pays, Ernest Prigent prend une nouvelle orientation professionnelle dans le bâtiment à construction rapide. Il obtient un agrément technique grâce à Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction dont il avait été attaché de cabinet entre 1925 et 1930. La première maison préfabriquée de Bretagne est construite à Binic et inaugurée par le ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme M.Letourneau en juillet 1947. Le ministre apprécie les explications détaillées de M. Prigent et la rapidité d'exécution d'une telle maison de 10 pièces dont le gros oeuvre est achevé en 15 jours par 4 maçons. Les propriétaires M et Mme Miniou en sont très satisfaits et le Ministre dira lui-même sur place : "Je souhaiterais être propriétaire d'une maison semblable... et j'aimerais aussi pouvoir loger rapidement tous les sinistrés de façon semblable..." (Ouest-France 29 juillet 1947)
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Ouest-France 29 juillet 1947 |
Par la suite, M. Prigent fondera quinze Sociétés Civiles Immobilières, représentant 3 500 immeubles ou appartements. C'est ce qui explique qu'Ernest Prigent était très connu comme ingénieur du bâtiment et entrepreneur dans la région de Saint-Brieuc.
Reconnaissons que les immeubles construits par Ernest Prigent ne sont pas les plus admirés de nos jours à Saint-Brieuc mais il faut les replacer dans le contexte de l'effort de construction de logements neufs après-guerre.
Dans son engagement au sein du conseil municipal, sous l'étiquette du Mouvement Républicain Populaire (M.R.P), dans la mouvance du christianisme social et centriste, Ernest Prigent se montre très actif dans tous les programmes de développement du logement pour les classes populaires.
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Ouest-France 25 avril 1953 |
Sa spécialité dans la construction en matériaux préfabriqués, appelée « pierre moulée » lui vaut d'être un pionnier en la matière. Dans une tribune de Ouest-France le 25 octobre 1949 il en présente tous les avantages : une économie de 1 à 4 par rapport à la pierre, le travail est 4 fois moins pénible pour les ouvriers. Ces matériaux utilisés à la Ville Ginglin ont un isolement thermique 3 fois supérieur aux murs en granit, ils sont imperméables, ils permettent de construire jusqu’à 5 étages sans ossature spéciale, de ne pas avoir de variations de température et font réaliser des économies de chauffage.
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Annonce Ernest Prigent 13 avril 1954 Ouest-France |
En juin 1951, on peut lire dans la presse qu'Ernest Prigent croit au logement bon marché et de qualité. C’est ainsi qu’il participe à une grande souscription au profit du Secrétariat Social en bâtissant une maison qui sera le prix pour le gagnant.
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Maison construite par Ernest Prigent 6 juin 1951 Ouest-France |
En 1952, à la Foire exposition, son stand est remarqué par les visiteurs, et par la presse !
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Maison préfabriquée Prigent.12 septembre 1952 Ouest-France |
Au mois d’août 1953, Victor Rault, le maire de Saint-Brieuc, visite le chantier de la « Cité Heureuse » rue Cordière qui comptera 42 logements en tout, construits selon les procédés d’Ernest Prigent. L’entrepreneur en profite pour développer son idée de construire des immeubles en hauteur en centre-ville pour abaisser les coûts.
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Sur le chantier de l'immeuble rue Cordière 29 août 1953 Ouest-France |
En novembre 1953, la première tranche est inaugurée.
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25 rue Cordière. Image Google |
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Rue Cordière 7 novembre 1953. Ouest-France |
Ernest Prigent est à l'origine d'un important projet immobilier pour lequel une annonce est publiée le 30 avril 1954 dans Ouest-France.
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Annonce publicitaire. 30 avril 1954 Ouest-France |
Le Parc Radieux dit Ker-Couantic est inauguré en octobre 1954, dans la propriété Champsavin, rue Duguay-Trouin proche du boulevard Lamartine dans le quartier Saint-Michel à Saint-Brieuc. Le premier étage du premier bloc vient de sortir de terre et à cette occasion de nombreuses personnalités sont présentes dont Victor Rault, maire de Saint-Brieuc ; Ernest Prigent, ingénieur et entrepreneur ; M. Bianchi, entrepreneur.
Dans son édition du 27 janvier 1955 un journaliste de Ouest-France rend compte de l’avancée du chantier : « Un Caterpillar de 100 CV tirait de la terre, des racines, des souches avec aisance… Ce Caterpillar fait en un jour et demi le travail de deux mois à une vingtaine d’ouvriers.» Le cinquième étage du bâtiment est commencé, le château reçoit des aménagements pour loger plusieurs familles et 60 logements sont prévus à Ker-Couantic.
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Entreprise Prigent. Ker-Couantic Saint-Brieuc, 27 janvier 1955 Ouest-France |
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Ker-Couantic en bas de l'image. Vue aérienne.10 février 1960 Ouest-France |
Ernest Prigent cesse son activité de constructeur en 1971. Il lègue "son usine de fabrication à son personnel : bâtiments, matériel et stock prêt à la vente représentant 60 millions d'anciens francs. L'inadaptation du personnel à la gestion d'entreprise fit échouer cette expérience qui procédait d'un esprit généreux."
(Informations fournies dans la nécrologie parue dans Ouest-France le 17 janvier 1980)
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L'entrée du Parc de Ker-Couantic |
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Maison de la famille Prigent, sur la droite, dans le parc de Ker-Couantic |
La famille Prigent a habité de nombreuses années dans la grande maison située au milieu du parc de Ker-Couantic, immeubles construits par l'entreprise d'Ernest Prigent. (photos ci-dessus)
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La petite épicerie à l'entrée du Parc de Ker Couantic. Photo G. Le Ker |
Sources
Recherches dans les archives de Ouest-France
Archives du temple protestant de Saint-Brieuc.
En 2020 et 2021, entretiens avec Pierre Prigent, fils d'Ernest Prigent
Fiche Ernest Prigent, site Généanet, cliquer ici
Acte de naissance, Plouégat-Moysan, 1898, cliquer ici
Mariage, tables décennales Trémel, page 7, registre 1913-1922, cliquer ici
Recensement militaire, classe 1918 Guingamp, matricule 124, cliquer ici
Un dossier sur Ernest Prigent est conservé au Service historique de la Défense de Vincennes pour les faits de Résistance F.F.I. Références : GR 16 P 491265
Légion d'Honneur : décret du 2 septembre 1954 et publication au Journal Officiel du 3 septembre 1954.
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