Gertrude Lisbeth Bong |
Des allemands ont résisté au nazisme de différentes manières, on l’oublie trop souvent. L’histoire qui suit est celle de Fritz Zerna, né à Berlin en 1908 et de son épouse Gertrude Bong. Ce couple de protestants fuit l’Allemagne nazie mais ce n’est pas un acte de démission. Un rapport préfectoral de 1946 mentionne simplement qu'ils partent d'Allemagne "pour se soustraire à l’oppression nazie" et ils ne veulent plus vivre dans une Allemagne contraire à leurs valeurs . On ne dispose pas (encore) d’explications plus précises de la part de leur entourage, mais le dossier de naturalisation de Gertrude Zerna, conservé aux archives départementales des Côtes d’Armor, témoigne de l’engagement de Fritz Zerna qui donnera sa vie pour la France, et de Gertrude qui deviendra française après-guerre, après avoir vécu des années à Etables-su-Mer.
En Allemagne
Gertrude Lisbeth Bong est née le 11 juin 1911 à Berlin, elle est la fille d’Otton Bong né le 4 décembre 1874 à Berlin et de Clara Nitschke née le 7 janvier 1876 à Berlin. Elle exerce comme caissière et vendeuse aux Magasins Lenser, 47 rue d’Orania à Berlin.
Elle se marie avec Fritz Zerna, né le 10 août 1908 à Berlin. Le mariage a été célébré le 11 mars 1931 à Berlin.
Fuir l'Allemagne nazie et s'engager
D’après un rapport transmis au Préfet des Côtes-du-Nord, le 18 août 1945 par Théodore Lorvellec, inspecteur de la Sûreté Régionale, « En 1934, à l’instauration du régime nazi, Zerna et sa femme rentrèrent en France. Zerna travailla à Paris comme maçon jusqu’à la déclaration de guerre le 1er septembre 1939. Le 6 septembre, il s’engagea dans la Légion étrangère pour combattre sous notre drapeau. Il est actuellement en Indochine".
Réfugiée en Bretagne
Suite du rapport de l'inspecteur de la Sûreté Régionale : "Au départ de son mari, Mme Zerna, avec son fils, Peter Uvé (Uwe) Zerna, appelé aussi Pierre, né le 8 mars 1936 à Saint-Maurice (Val de Marne), devenu français à la suite d’une déclaration enregistrée au Ministère de la Justice […] s’installa chez des amis à la Ville-Gautier en Étables. En novembre 1942, en raison de sa nationalité et du départ de son mari, elle fut contrainte par les autorités allemandes d’aller travailler en Allemagne".
Tables décennales, naissance Saint-Maurice. Zerna Pierre, page 121 |
Mme Zerna et son mari ont donc résidé en France, comme réfugiés, à partir du 5 mai 1934 à Paris (3 rue du Borrego XXe arrondissement. Puis, Mme Zerna et son fils, mais sans son mari, sont restés du 3 septembre 1939 au mois de novembre 1942 à Étables-sur-Mer dans les Côtes-du-Nord. (Dans le détail la famille Zerna a habité boulevard de la Chapelle à Paris (Hôtel des voyageurs de mai à septembre 1934 ; à Saint-Maurice, Grande rue de septembre 1934 à septembre 1936 ; à Paris rue Borrigo de septembre 1936 à mars 1938 ; à Paris, passage de Patoria de mars 1938 à septembre 1939).
|
Recensement Saint-Maurice 1936. Zerna Gertrude. Vue 124 |
Retour forcé en Allemagne
Pendant la guerre et durant deux ans et demi, Mme Zerna est partie pour un séjour forcé en Allemagne, sur pression de la Gestapo. Elle a exercé de novembre 1942 à mai 1945 comme sténo-dactylo au Wirtschaftsgruppe-Maschinen, près du Tiergashen à Berlin puis dans le même groupe à Wurthemberg quand l’entreprise s’est repliée à la suite de bombardements.
Après la Libération
Après la guerre, en 1945, le régiment de son mari combat en Indochine. Mme Zerna revient en France chez ses amies d’Étables. Elle n'a pas trop de nouvelles de son mari, soldat engagé volontaire depuis la déclaration de guerre le 6 septembre 1939 au 5e Régiment étranger. Pire, elle ne semble pas savoir que son mari est décédé en Indochine. En effet, le 10 mars 1945, Fritz Zerna, soldat de 2e classe, matricule 86345, du 5e R.E.I, est mort pour la France à Hagiang dans le Tonkin, tué par les forces armées japonaises. Il est enterré sur place.
Mme Zerna entre en France le 17 juillet 1945 par le point de passage de Strasbourg. Le retour au mois d’août 1945 est favorisé par le contrat de travail d’un an comme aide ménagère contracté avec Mlles Eleanor Scott et Hélène Babut, deux protestantes qui résident à Étables. Le certificat d’embauche est signé par Eleonor Scott le 4 octobre 1945 et son permis de séjour est validé par le Maire d’Étables le 8 octobre 1945. Mlles Scott et Babut l’embauchent comme femme de ménage moyennant le logement, la nourriture pour elle-même et son fils. Elle effectue aussi des travaux de couture chez différentes personnes d’Étables.
Certificat d'embauche. 4 octobre 1945. Archives 22 |
Document manuscrit de Mme Zerna. 7 août 1945. Archives 22 |
Obtenir des papiers d'identité
Pour les Zerna, vivre en France a nécessité de se conformer avec la loi encadrant le séjour des étrangers. Gertrude Zerna obtient dans un premier temps des papiers le 16 août 1934.
D'autres papiers sont obtenus par Mme Zerna et enregistrés en 1939 et 1940.
Récépissé de demande de carte d'identité. 1940. Archives 22 |
Carte d'identité 1940. Archives 22 |
Puis, après-guerre, c'est un visa à durée limitée, pour les étrangers, valable du 16 avril 1946 au 15 avril 1947, qui lui est octroyé, valable seulement dans le département des Côtes-du-Nord.
Carte d'identité valable en 1946 et 1947. Archives 22 |
La procédure de naturalisation
Gertrude Zerna sollicite ensuite sa naturalisation française en septembre 1946 et elle établit un dossier à cet effet. L’enquête menée est très approfondie. Le Préfet indique dans son courrier au Ministre de la Population que « la postulante, veuve d’un Légionnaire « Mort pour la France » réside actuellement à Étables ». Dans une lettre manuscrite du 21 septembre 1946, le Préfet dresse un portait très complet de l’histoire de M et Mme Zerna. Le Préfet écrit qu’il « émet un avis très favorable » à cette naturalisation pour de nombreuses raisons mais on retiendra les suivantes: « Considérant qu’elle est bien assimilée par ses mœurs, son état d’esprit, ses sentiments et qu’elle parle couramment la langue française » et considérant « que c’est pour se soustraire à l’oppression nazie qu’elle a décidé, avec son mari, de s’expatrier, et qu’elle désire se fixer définitivement en France, dont le régime politique semblait le mieux convenir à ses convictions ». D’autre part « Mme veuve Zerna jouit de l’estime publique, et que son loyalisme envers notre pays ne saurait être mis en doute ».
L’attestation délivrée par M. David, directeur de l’école d’Étables, a également bien contribué à favoriser cette naturalisation demandée. Son témoignage a d’autant plus de poids qu’il avait été durant la guerre le chef adjoint du maquis de Plourhan et le secrétaire du Comité Local de la Libération (C.D.I). Il rappelle que Mme Zerna est une « réfugiée politique » ayant eu « une attitude des plus loyale envers notre pays », contrainte de partir d’Allemagne car son mari était « anti nazi ». Il ajoute que « Durant toute l’Occupation, sa conduite fut exemplaire ; elle évita tout rapprochement avec les occupants. En 1942 elle fut contrainte, après avoir résisté de longs mois et sous la menace de la Gestapo, de rentrer en Allemagne ». L’ayant bien connue puisque son fils fréquentait son école, « Mme Zerna me dit alors son regret de quitter la France, elle me fit part de ses appréhensions au sujet de son fils élevé dans le culte de la France et ne me cacha pas son espoir de revenir un jour dans une France libérée ».
Le Préfet de police de la Direction de la police générale atteste que « durant son séjour dans le département de la Seine, la conduite, la moralité et l’attitude du point de vue national de Mme Zerna n’ont donné lieu à aucune remarque défavorable ». (Courrier au Préfet des Côtes-du-Nord du 6 septembre 1946.) M. Émile Tardivel, inspecteur de la Police Régionale d’Etat souligne que « Tous les habitants d’Étables sont unanimes à déclarer que Mme Zerna est digne de recevoir la nationalité française… » (Courrier du 26 août 1946)
Mairie d'Etables, 5 septembre 1946. Archives 22 |
Enfin, par un décret du 14 février 1947 du Ministre de la Population, Georges Maranne, Gertrude Bong, veuve Zerna, est naturalisée française.
Dossier naturalisation. Archives 22 |
Interrogations
En l’absence de témoignage et de sources écrites, on ne peut que supposer que la religion protestante de Mme Zerna est certainement le point commun qui a permis le rapprochement de Mme Zerna avec Mlles Scott et Babut. Peut-être par des réseaux protestants à Paris où résidaient les Zerna ? La religion de Mme Zerna est attestée par un questionnaire rempli à Étables le 5 mai 1941 par Mlles Scott et Babut.
Dans la mémoire collective
Deux traces subsistent dans la mémoire collective de l’engagement de Fritz Zerna comme soldat tué au combat en Indochine : son nom figure sur le Monument aux morts d’Étables-sur-Mer et sur une plaque commémorative du Mémorial des guerres en Indochine à Fréjus.
Monument aux morts d’Étables avec le nom de F.Zerna. Photo RF septembre 2024
Monument de Fréjus. Image Généanet |
Pierre Zerna a poursuivi des études au Lycée Le Braz de Saint-Brieuc et lors de la distribution des Prix en 1953, il a reçu une bourse de séjour à l'étranger. (Ouest-France le 29 juin 1953)
Il a passé son Baccalauréat au centre d'examen de Saint-Brieuc au Lycée Le Braz, en section scientifique. Ouest-France a annoncé le 8 juillet 1954 qu'il était admissible et convoqué au Lycée de Rennes et le 4 juillet 1955, admissible pour la deuxième partie du baccalauréat.
Dernière ligne Zerna Peter. 1954 |
Et le 15 juillet 1959 dans Ouest-France, on apprend que Pierre Zerna a été reçu à son Certificat de physiologie animale à la Faculté des sciences de Rennes.
Dernière ligne, Pierre Zerna. 1959 |
Par une source sur le site de généalogie Généanet, on sait que Pierre Zerna s’est marié vers 1958, mais sans avoir la date exacte, avec Annette François, née le 15 octobre 1935 à Douchy dans l’Aisne.
Entretiens avec Pierre Zerna, février 2024
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire