samedi 2 décembre 2023

André Féat (1916-1945), pasteur de l’Église Baptiste de Morlaix, Résistant et déporté.

 

André Féat est un pasteur de l’Église baptiste de Morlaix qui était résistant. Il a été déporté au camp de Flossenbürg et il est mort à Dachau en 1945.
 
 
L’Église baptiste à Morlaix
A Morlaix, une communauté baptiste protestante existe depuis l'arrivée du premier pasteur, un missionnaire gallois, John Jenkins, en 1834.
Un premier temple est construit en 1846, au 32, rue de Paris. 
La langue galloise, proche du breton, qui permet de traduire la Bible, explique l'arrivée de missionnaires dans les campagnes bretonnes où la religion catholique domine. John Jenkins est le premier pasteur de Morlaix, de 1834 à 1872.
Le temple de Morlaix était le plus ancien lieu de culte de la Fédération des églises évangéliques baptistes de France. Ce premier temple a aujourd'hui disparu. Il a été remplacé, au même endroit, par l'actuel au 32 rue de Paris, inauguré en 1923 et construit entre 1922 et 1924.  
Même s'il n'y a jamais eu de grande communauté, celle-ci se composant seulement de quelques dizaines de membres, une présence baptiste s'est toujours maintenue.
Dans la vie locale, les baptistes sont présents au niveau social, notamment au début du XXe siècle où l'église s'occupe d'écoles et d'hospices. Elle est présente au Diben (à Plougasnou) mais aussi à Lannéanou, à Huelgoat ou encore à Trémel, dans les Côtes-d'Armor. 

Temple baptiste de Morlaix, 32 rue de Paris 2016. Image Google street

André Féat, pasteur assistant à Morlaix dans les années 40, fait partie d'une longue lignée de pasteurs. Beaucoup se sont succédé sans rester très longtemps à Morlaix, peut-être à l'exception d'Alfred Somerville (1925-1955), d'Henri Razzano (1975-1984), de José Loncke (1984-1996) et d'André Letzel (2002-2008). Il faut aussi noter l'apport de Robert Somerville, ancien pasteur et figure nationale du protestantisme national, qui a toujours été proche de l'église de Morlaix et attentif à son développement.
Enfin, l’Écossaise Alison Wyld est devenue officiellement la première pasteure de l'Eglise baptiste de Morlaix le 14 février 2021.
 
Le pasteur Gerson Tomaz et son épouse, Sonia (au centre), Le Télégramme. Morlaix 10 septembre 2016.



Une famille engagée politiquement
André Féat naît à Morlaix le 20 octobre 1916, dans un contexte compliqué car la maman, Marie Simon, est célibataire et n'a que seize ans. L'enfant, André Marie Simon, est reconnu par sa mère le 13 novembre 1916 et plus tard, par le père avec le mariage des époux Pierre Féat et Marie Simon le 20 janvier 1919 à Morlaix. Pierre est alors mobilisé au 19e Régiment d'Infanterie.
 
En 1936, la famille Féat, dont tous les membres sont originaires de Morlaix, habite Rampe Saint-Nicolas. On a Pierre, le père, né en 1898, menuisier dans la Compagnie d'ameublement de Morlaix ; Jeanne, mère au foyer, née en 1900 ; André, fils, né en 1916, typographe ; Pierre, fils, né en 1924 ; Marguerite, née en 1927 ; François, né en 1932.  
 

Famille Féat Morlaix recensement 1936, vue 10 sur 199. Archives du Finistère. Attention aux erreurs Marguerite n'est pas de 1927 mais de 1922.


Le 14 novembre 1938 à Morlaix, André Féat se marie avec Germaine Eve, employée de commerce (Annonce dans La Dépêche de Brest du 15 novembre 1938). Le couple habite alors 22 Place des Halles à Morlaix.
 
La famille n'a pas de racines protestantes mais les parents sont engagés politiquement.
Le père, ouvrier adhérent au Parti Communiste, est fait prisonnier en 1940 pour suspicion d’appartenance au Parti. Il est arrêté et emprisonné cinq mois à la prison de Rennes.  
Dans un entretien au Télégramme du 9 mars 2019, Marguerite, la fille Féat, évoque des souvenirs de cette époque et se souvient des voyages effectués par sa mère une fois par semaine pour effectuer des visites à la prison de Rennes. Pendant ce temps, Marguerite s’occupe de ses frères cadets, dont le petit dernier, Yvan, né le 16 mai 1938. « Un prénom à la russe, refusé par l’Église », explique-t-elle. Hippolyte et André sont inscrits sur son acte de baptême. André, comme son frère aîné, est alors élève pasteur.
 
 
Un pasteur dans la Résistance
Dans les années trente, André Féat adhère à la S.F.I.O, dans le groupe des jeunesses socialistes de Morlaix. En 1939, il devient le trésorier fédéral des Jeunesses Socialistes du Finistère. Lors des campagnes électorales, il épaule Tanguy-Prigent, un socialiste qui deviendra ministre de l’Agriculture du Général de Gaulle après guerre.
Parallèlement, André exerce comme pasteur assistant à Morlaix, il habite toujours au numéro 22 de la Place des Halles. Son engagement politique le conduit également à adhérer au Parti Socialiste clandestin.
Il participe à la Résistance au sein du mouvement Libération-Nord et du Réseau Henri Vincent de protection des juifs (d'après sa soeur il a recueilli des juifs pour les soustraire à la barbarie). Il est spécialement chargé de la diffusion de journaux clandestins dans la région de Morlaix.
 
En tant que pasteur, au Temple de Morlaix (situé en face la Kommandantur), il va marier  sa sœur Marguerite et Jean Hameury son beau-frère, recherché par les Allemands comme réfractaire au Service du Travail Obligatoire. 
Sa soeur raconte : « Mon frère Dédé nous a mariés au Temple, situé face à la Kommandantur, en pleine Occupation alors que Jean, mon fiancé, était recherché car réfractaire au S.T.O ». L’inconscience de la jeunesse ou l’envie de défier l’ennemi ? « Un peu des deux probablement », analyse la vieille dame, dont le regard se perd dans les tréfonds de sa mémoire.

 
Otage 
Le 26 décembre 1943, André Féat fait partie d'une liste de 60 otages arrêtés  à Morlaix après un attentat contre les Allemands dans la commune (son beau-frère, Georges Le Roy, mari de sa sœur Josée est également arrêté)
 
 
La déportation
André Féat passe par la prison de Rennes et par  le camp de Compiègne avant d'arriver à Buchenwald le 24 janvier 1944 (numéro de matricule  42 907).
Il est transféré au camp de concentration Flossenbürg, en Bavière, le 24 février 1944 ( numéro de matricule 6941). 
Le travail dans le camp de Flossenbürg tourne autour de deux grands axes : l’industrie d’armement, en particulier dans l’aéronautique avec des usines Messerschmitt (c'est dans ce kommando que décèdera son beau-frère), et les travaux usants dans les carrières de granit, le forage de tunnels et d’usines souterraines.
 
Le 26 janvier 1945, André Féat fait partie d'un convoi de 750 détenus transférés à Kamenz (kommando de Gross-Rosen) où ils arrivent le 28 janvier. Enfin, il est transféré à Dachau le 16 mars, dans un convoi de 200 détenus dans le cadre d’une évacuation du camp de Gross-Rosen.
Il meurt le 3 avril 1945 à Dachau en Allemagne, dans ce qu'on a appelé "la baraque des prêtres" où 2720 prêtres et pasteurs ont été déportés entre 1938 et 1945 : 1034 d'entre eux y laisseront la vie parmi lesquels André Féat.
 

 
La famille apprend la triste nouvelle des semaines plus tard par un courrier transmis à son épouse. Un simple avis de décès des Jeunesses socialistes l’annonce publiquement. 
Le pasteur Alfred Somerville (1899-1975) sera très affecté de la mort d'André Féat qui était en formation au moment de son arrestation. Il aurait pu seconder le pasteur Somerville dans de nombreuses taches. Joseph Plassard (1919-1944), un autre membre de la communauté protestante, a lui aussi été otage à Morlaix, déporté et n'est pas revenu des camps.
 
Le nom d'André Féat figure sur un monument commémoratif à Morlaix.
 

 
Le saviez-vous ?
Le pasteur Henri Whelpton, de l'Eglise méthodiste de Lannion est venu plusieurs fois au Temple baptiste de Morlaix pour y donner des conférences. La presse des années 20 et 30 en conserve deux traces. La première se situe le 19 novembre 1925 (annonce dans Ouest-Eclair).
Conférence du pasteur Whelpton. 19 novembre 1925

La deuxième conférence va se dérouler le 2 mars 1933, Henri Whelpton évoque une page de l'histoire d'Angleterre : "L'homme qui sauva son pays, le destin de John Wesley."
 

 

 
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Sources 
Etat civil de Morlaix, archives départementales du Finistère :
20 octobre 1916, registre des naissances, André Simon, reconnu et devenu André Féat ; 1919, mariage Pierre Féat et Jeanne Simon ; 14 mars 1922, naissance Marguerite Féat ; 1936, recensement Morlaix.
 
La Dépêche de Brest, 14 novembre 1938, annonce de mariage André Féat et Germaine Eve.
 
Documents des camps de Flossenbürg et Dachau (Base Arolsen, cliquer ici)
 
Article du Télégramme, dans l'édition du 26 avril 2019, consacré aux souvenirs de Marguerite Hameury, soeur du pasteur André Féat, cliquer ici
 
Article du Télégramme du 10 septembre 2016 sur l'histoire du Temple baptiste de Morlaix, cliquer ici
 
Fiche de l'association Flossenbürg, cliquer ici 
 
Article très complet sur les déportés de Morlaix dans les camps nazis Le chiffon rouge, P.C.F Morlaix, cliquer ici
 
150 ans de protestantisme dans la région de Morlaix, document de l'Eglise baptiste de Morlaix, cliquer ici 
 
Blog de l'histoire de l'Eglise protestante unie des côtes d'Armor, article sur Henri Whelpton, cliquer ici
 
 
 
Famille Féat  
(quelques recherches sont encore en cours)
 
Le père, Pierre Marie Féat, né le 7 juin 1898, rue de la gare à Morlaix, menuisier, médaille d'argent du travail (publication le 16 juillet 1957 dans Ouest-France), décédé le 11 novembre 1960 à Morlaix, retraité des tabacs, 10 rampe Saint-Nicolas (fiche Généanet ici).
La mère, Marie Féat, née Simon, née le 18 avril 1900 à Morlaix. Mariage le 20 janvier 1919 à Morlaix, décédée le 8 mars 1969 à Morlaix. 
Le couple Pierre et Marie Féat aura 5 enfants :
André, 20 octobre 1916, marié avec Germaine Eve, ouvrier typographe puis pasteur, décédé le 3 avril 1945. 
Marguerite, née le 14 mars 1922, mariée avec Jean Hameury le 18 septembre 1943 à Morlaix. Le couple aura un fils, Serge. Marguerite est décédée en juillet 2022. 
Pierre, né en 1924. 
François, né en 1932.
Hippolyte, André (appelé Yvan) né en 1938. 
 
Marguerite Féat fait aussi état dans un article du Télégramme de Josée qui serait sa soeur aînée, mariée avec Georges Le Roy (déporté). Georges Le Roy décède à 24 ans le 21 juillet 1944 dans le Kommando du camp de Flossenbürg.
 
Autre point à éclaircir : André Féat aurait été nommé pasteur à Ploufragan en 1944 (alors qu'il est arrêté en 1943!), une information à vérifier...
 
Marguerite Hameury, née Féat photographiée dans l'édition du 9 mars 2019 au sujet du droit de vote des femmes en 1945. A droite sa photo quand elle avait 20 ans.

 
 
 
Documents des camps. 
1944-1945
 

Fiche du pasteur André Féat à Flossenbürg. Source Arolsen     













 

 

 

 

 


 
 
 
 
Buchenwald. Fiche du pasteur André Féat à Buchenwald. Source Arolsen

 
Fiche du pasteur André Féat. Source Arolsen

Camp de Flossenburg. Fiche du pasteur André Féat à Flossenbürg. Source Arolsen

Fiche du pasteur André Féat. Source Arolsen

Camp de Dachau. Fiche du pasteur André Féat à Dachau. Source Arolsen

 
Fiche du pasteur André Féat à Flossenbürg, recto.

Fiche du pasteur André Féat à Flossenbürg, verso avec écriture manuscrite

 
André Féat, fiche à Flossenbürg, kommando Gross-Rosen 26 janvier 1945. Profession : Typographe

 
  
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vendredi 1 décembre 2023

Georges Bessis (1915-1945), éducateur, protestant et Résistant


Venu en Bretagne, à côté de Dinan, pour prendre la direction d'une maison de jeunes délinquants, Georges Bessis est arrêté en 1943 puis déporté avec d'autres protestants comme le docteur Hansen et le pasteur Crespin.


 


Les années de jeunesse

 

Georges Amran Bessis est le fils d'Henri et Georgette Bessis. Il est né d'un père marocain et d'une mère originaire de Morlaix. Ses parents se marient à Casablanca en 1914 où Georges est né lui-même, un peu plus tard le 9 avril 1915. 

C'est au Maroc qu'il fait la connaissance du scoutisme unioniste qu'il fréquente avec son frère, prénommé comme son père, Henri. 

 

Carte d'Eclaireur unioniste de Georges Bessis.1929 Photo famille Bessis


Carte d'Eclaireur unioniste de Georges Bessis.1929 Photo famille Bessis

Georges Bessis se convertit, se fait baptiser par le pasteur Jean Jousselin et s'engage dans le protestantisme. Ses écrits de jeunesse révèlent une personnalité tournée vers le mysticisme, le Christ est son modèle.

Sur le plan professionnel, il travaille dans une étude de notaire et suit des cours de droit le soir.

 

 

La Guerre

Georges Bessis va être pris dans le tourbillon des années où la guerre se prépare. 

Il effectue son service militaire à la caserne Bessières, Porte de Saint Ouen, en 1936 (classe 1935).
Après ses deux années de service, il est mobilisé en mars 1939. Il se marie le 6 novembre 1939 au Temple d'Alençon avec Adeline Doranlo, éducatrice de jeunes enfants à Paris, qu'il rencontre dans le milieu du scoutisme protestant.

Sa Compagnie est sur le front de guerre lors de l'attaque des allemands le 24 mai 1940. La Compagnie et le reste de l'armée reculent vers Lille le 26 mai et elle est plusieurs jours sous les obus. Georges Bessis est blessé par des morceaux d'obus qui le touchent aux bras et à la tête le 31 mai à Haubourdin. Il est évacué vers l'hôpital Saint-Sauveur dans les faubourgs de Lille où il est opéré le 4 juin. Réformé le 14 août, il rentre à Paris.

 

 

La rencontre avec Jean Jousselin

 

Dans le milieu protestant, il établit une relation forte avec le pasteur Jean Jousselin, pasteur de La Maison Verte en 1941, rue Marcadet dans le 18e arrondissement. C'est Jean Jousselin qui le baptise en 1941 et qui lui propose alors un poste d'évangélisation avec la Mission Populaire Evangélique. 

Jean Jousselin a créé le Comité protestant des Colonies de Vacances en 1943 qui permettra d'organiser le sauvetage de 85 enfants juifs. Jean Jousselin sera désigné comme "Juste entre les Nations" en 1980. 
 
Jean Jousselin, Commissaire national des Éclaireurs Unionistes et Directeur du Centre de Jeunesse de Sillery (à Savigny-sur-Orge) recrute Georges Bessis.
Il travaille avec Jean Laborey au Ministère de la Jeunesse dont dépend le Centre.

Georges Bessis est d’abord éducateur puis Directeur adjoint, puis Directeur du centre de formation de Sillery (de septembre/octobre 1940 au printemps/été 1941) qui prépare des futurs directeurs de centres de jeunes chômeurs en 3 semaines 24/24, ces Centres sont répartis dans toute la France pour échapper au Service du Travail Obligatoire.
Il dirige neuf camps de Sillery d'août 1940 au mois de mars 1941. Il est nommé Chef de Centre pour la quatrième session de formation à Sillery le 24 octobre1940.

Georges Bessis est ensuite nommé Directeur d’un centre de formation au Château de Montry (Est de Paris), début avril 1941, toujours pour former des responsables de centres de jeunesse jusqu’à la fin de l’été 1941.
 

Georges Bessis, chef du Centre rural de Montry.1941

 

Dans le journal Ici les Jeunes on trouve un compte-rendu de l'ambiance dans la septième session de Sillery, dirigée par jean Jousselin. La promotion prend le titre de Ténacité.

Au paragraphe Des constructeurs, c'est de Georges Bessis dont il est question :

"Il faut aussi rendre hommage au chef de Centre Bessis, à son adjoint Meillant, et à son jeune chef de chantier Masse. Jeunes parmi les jeunes ils ont su nous faire réfléchir, par des mots d'ordre appropriés et utiles, au relèvement du pays. Aujourd'hui, nous sommes convaincus que la vie n'est pas plus pour certains un fardeau, que pour d'autres une série de plaisirs, mais qu'elle est pour tous un service et que, même au milieu des dés illusions de l'existence, elle vaut la peine d'être vécue lorsqu'on a la patrie à soutenir et un patrimoine à défendre".

 

Publication Ici les jeunes. 8 février 1941

Le 7 mai 1941, Jean Jousselin est révoqué  de son poste au Ministère de la Jeunesse pour des problèmes politiques et reprend du service pastoral à Montmartre à la mission populaire « La Maison Verte ».

Georges Bessis travaille alors pour le Ministère de la Jeunesse (de septembre 1941 à mars 1942), au Château de Madrid (en bordure du Bois de Boulogne), il s’agit de l’Ecole Supérieure des Cadres pour les adolescents et les jeunes chômeurs puis à Marly le Roi (Château du Val Fleuri) en tant que Directeur adjoint, le Directeur est M. Thiebault.



Une nouvelle orientation professionnelle

 

Après la rencontre avec Jean Jousselin, Georges Bessis va faire la rencontre de Charles Péan, Major de l’Armée du Salut. 

Charles Péan de l'Armée du Salut.

Charles Péan est sollicité pour aller voir ce qu’il serait possible de faire pour améliorer un centre de délinquants proche de Dinan dans les Côtes-du-Nord. Cette histoire est racontée dans le livre Ker-Goat. Le salut des enfants perdus.

Dans la préface du livre Charles Péan lui-même raconte son arrivée sur les lieux :

« C’est ainsi qu’en décembre 1941, dans les Côtes-du-Nord, je découvris une ferme sordide, flanquée de baraquements lépreux : le « Centre du Hinglé ». Il faisait froid et les pluies saisonnières avaient transformé les chemins en fondrières. Encadrés par quelques très jeunes gens, inexpérimentés et dévoués, des enfants étaient là, loqueteux, sales, malheureux, au nombre de quarante à cinquante, de 14 à 15 ans.

Plusieurs étaient couchés de jour et de nuit, faute de vêtements et de sabots, et parce qu’ils avaient froid. Il n’y avait pas d’eau, sauf celle apportée à bras d’homme ; pas de lumière, sauf celle des courtes journées d’hiver ; pas de lits, sauf d’immondes grabats…

Il n’y avait ni principes, ni méthodes, ni argent, ni  vivres… Bref tout manquait, sauf le mépris des voisins, l’inquiétude des autorités, l’antipathie des notables. Tout était décevant, repoussant.

 Je fus consterné. Je ne pouvais me défendre d’établir certaines analogies entre ce que j’avais vu tant de fois au bagne de Cayenne et ce qui était ici. La perspective d’un autre combat à livrer m’était insupportable. Je voulus fuir, retourner chez moi à Paris… »

 


Le découragement de Charles Péan n’est que de courte durée et pensant au sort de ces jeunes, il entreprend d’accepter cette mission :

« La tâche fut dure. Il fallut tout changer : quitter les locaux impropres, rompre avec les habitudes mauvaises, renouveler les cadres…

Enfin, au printemps 1942, comme des tâches plus étendues m’éloignaient peu à peu de la Bretagne, j’installais au Centre Georges Bessis, un homme, un chrétien, un chef".

 


Le 3 février 1942, Georges Bessis est appelé à se présenter pour prendre la direction de cette maison d’enfants de jeunes délinquants en Bretagne.

Georges Bessis se rend à Ker Goat, au Hinglé, proche de Dinan, dans le cadre de l’Association pour la Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence des Côtes-du-Nord. 

 

Lever du drapeau à Ker Goat. A gauche, les baraquements des jeunes et à droite, ceux des adultes. Photo Robert Basset

 

Nouvelle direction, nouvelles méthodes

 

Georges Bessis prend la direction le 11 mars 1942, il a 27 ans.

Rapidement il institue de nouvelles règles et de nouvelles méthodes car à cette époque les faits de maltraitance sont courants dans le milieu de l'éducation des jeunes délinquants envoyés par les tribunaux. 

 

Georges Bessis. Le Pays de Dinan 2016. Photo Robert Basset

Toujours dans le livre Ker-Goat. Le salut des enfants perdus, Henri Joubrel qui a succédé plus tard à Georges Bessis raconte son arrivée à Ker Goat :

« Un jeune homme, brun, athlétique, descend l’escalier. Il est vêtu d’un blouson bleu marine, d’une culotte courte et de bas blancs. Il se présente :

Georges Bessis, chef du centre.

Quelques mots d’accueil, puis il s’excuse, car c’est le moment du rassemblement.  Nous sortons sur le perron. Une cloche s’agite longuement, et fait sauter un écureuil dans les branches d’un hêtre… 

Une multitude de sabots claquent dans les allées. Comme par enchantement, six filles de dix garçons apparaissent soudain groupées face au chef ».

 


 

La Résistance

 

En Bretagne Georges Bessis ne tarde pas à prendre des contacts avec la Résistance. On apprendra plus tard qu'il faisait partie d'un réseau organisé de résistance appelé Libération.

On peut dire aussi qu'il avait une certaine proximité avec les protestants les plus engagés comme le docteur Hansen et le pasteur Crespin de St Brieuc qui  eux aussi, seront arrêtés dans le cadre d'une opération coordonnée. Son dénonciateur dira au procès, le 26 juin 1945 après-guerre, qu'il avait vu Georges Bessis au cabinet du docteur Hansen.
 

Georges Bessis dirigera Ker Goat jusqu'au 2 novembre 1943, jour où il est arrêté pour possession d'un poste émetteur. D'autre part "ses sentiments anglophiles étaient considérés comme dangereux pour les jeunes de son centre". (Fiche de l'Association Flossenbürg)

 

 

La Déportation

Dans un premier temps, Georges Bessis est détenu à St Brieuc puis à Rennes jusqu'au 17 janvier et il est  transféré vers le camp de Compiègne (départ le 22 janvier 44) avant d'arriver à Buchenwald en Allemagne le 24. 

Georges Bessis, Erling Hansen et Yves Crespin vont rester très unis jusqu’à leur transfert vers des camps différents.

Tout le temps où Hansen, Bessis et le pasteur Crespin étaient ensemble, ils se retrouvaient chaque jour dans le camp de Buchenwald pour prier. Erling Hansen raconte, en 1994, un moment qu’il n’a jamais oublié :

« Nous sentions confusément, que notre séparation pouvait survenir à tout moment ; comme d’habitude nous étions seuls tous les trois dans notre baraque ! Cette fois le pasteur semblait plus inquiet, comme s’il pressentait cette épreuve de la séparation, et que celle-ci allait survenir !

Après nos prières à tous les trois, faites pour notre église, nos familles, et pour nous-mêmes, le pasteur Crespin voulut nous communiquer ses appréhensions, d’abord, ses vœux ensuite, pour Bessis et pour moi.

Avec toute sa force de persuasion, et toute sa foi communicative, il nous dit : « Nous allons bientôt être séparés, ceci va-t-il être notre dernière rencontre ? Je ne sais, mais quoi qu’il arrive, de toute la force de mon âme, je demande une chose à celui ou ceux qui survivront à cette déportation, à toi Erling, à toi Georges, si je meurs de me remplacer pour l’annonce de l’Évangile…

Très émus, unis par les mêmes pensées, en nous tenant les mains, Crespin nous dit alors : « Rappelons-nous toujours chers amis, que quoiqu’il arrive à l’un ou l’autre, nous nous retrouverons ensemble là haut avec le Seigneur ».

Cette séparation fut définitive, chacun ayant été désigné pour un commando différent, nous ne nous sommes jamais revus ici-bas".

Georges Bessis est transféré à Flossenbürg le 24 février 1944. Affecté au Kommando de Johanngeorgenstadt, dépendant de
Flossenbürg, le 6 mars 1944 d'où il est évacué le 16 avril 1945, par train. 

Le kommando de Johanngeorgenstadt est évacué le 16 avril 1945, par train. Départ le soir à 20 h. Le 18, arrêt en gare de Neu Rolhau (Nova Role). Débarquement et marche le 19 jusqu’à Karlsbad (Karlovy-Vary). Stationnement du 20 au 25 en gare. Reprise de la marche le 26 par Doubi, Rokov, Bochov, Lubenec, Dolansky, Zilhe et Blatno. Embarquement sur train à Blatno jusqu’à Lovosice, près de Theresienstadt (Terezin).

Après plusieurs jours de marche forcée, Georges Bessis arrive à Terezin (Theresienstadt) le 6 mai 1945. Il est libéré par les Russes à Terezin dans la nuit du 8 au 9 mai 1945 mais décède du typhus à l’hôpital à Terezin le 12 mai 1945. Il avait 30 ans.

Il sera accompagné jusqu'à sa mort par Jacques Adam qui survivra et pourra ainsi témoigner des derniers moments de Georges Bessis.

A titre posthume, Georges Bessis sera médaillé de l'Ordre de la Libération par décret du 31 mars 1947.



Attribution de la Médaille militaire à Georges Bessis. 1960.


Attribution de la Médaille militaire à Georges Bessis. 1960


Les traces de Georges Bessis dans la mémoire collective

Le nom de Georges Bessis figure sur le monument aux morts de Dinan et sur celui du Hinglé.

Monument aux morts à Dinan. Georges Bessis, déporté.

 

Une rue Georges Bessis a été donnée au Hinglé (22).

La presse locale a relaté la visite de Noëlle Bessis, fille de Georges, lorsqu'elle s'est rendue au Hinglé le 20 juin 2017.

Sur la photo Ouest-France ci-dessous, on reconnait Jacqueline Bessis, nièce de Georges Bessis, Noëlle Bessis fille de Georges Bessis, Danièle Téggia amie d’enfance de Noëlle et Gérard Berhault, maire du Hinglé.

 

Noëlle Bessis, 2e à gauche. Photo Ouest-France 20.06.2017

 

Le centre de Ker Goat a été nommé Centre d'éducation Georges Bessis-Ker Goat.  

En 1951, Ker Goat déménage dans la propriété du château de Pont-Phily à Pleurtuit (Ille-et-Vilaine).

 

Centre Georges Bessis à Pleurtuit. Carte postale Musée de Bretagne

 

 

Ker Goat après Guerre

La bienveillance et le chant font partie des nouvelles façons de faire avec les jeunes pour Paul Lelièvre, le successeur de Georges Bessis et son adjoint Jacques Dietz.

 

Trois responsables de Ker Goat. De gauche à droite, Georges Bessis, Leininger (?) et Paul Lelièvre. Le Pays de Dinan 2016. Photo Robert Basset

 

Une chorale est montée et on peut imaginer le déroulement de cette expérience à travers le film La cage aux rossignols (1944). C'est cette expérience qui sera également la source d'inspiration du film Les choristes en 2004.


1947 25 janvier Ouest-France Brest

Juste après-guerre, la chorale de Ker Goat va acquérir une certaine renommée en Bretagne puis dans toute la France, en Suisse et à la radio. La chorale fait une prestation remarquée à la Salle Pleyel à Paris.

L'article ci-dessous de Ouest-France daté du 9 juin 1947 relate une soirée se déroulant au Théâtre municipal de Dinan. Dans la  première partie, le public a pu écouter une conférence de Henri Joubrel, commissaire des Eclaireurs de France, délégué à la sauvegarde de l'Enfance.

M. Joubrel a fait "un exposé sur les nouvelles méthodes utilisées au centre de Ker Goat, notamment pour rendre aux enfants, qui lui sont confiés, leur place normale dans la société".

Dans la deuxième partie, la chorale interprète son répertoire.

 

9 juin 1947 Ouest-France

 

La chorale de Ker-Goat vers 1950. Photo Musée de Bretagne

 

Sources 

 

Entretiens téléphoniques avec Noëlle Bessis, mai et juin 2020 à l'occasion de la sortie sur le livre Le pasteur Crespin, un chrétien dans la Résistance.
 

Documents fournis par Noëlle, la fille de Georges Bessis. 

Articles de Ouest-France : 26 juin 1945 et 20 juin 2017


Le Pays de Dinan, 2016, article de Robert Basset. 


Site Mémoire des Hommes, médaille, ici et publication au J.O du 29 janvier 1948.

Mariage enregistré le 6 novembre 1939 à Damigny dans l'Orne, fiche Généanet, ici


Marie Adeline Doranlo, épouse de G. Bessis, fiche Généanet, ici


Sites internet sur le pasteur Jean Jousselin et La Maison Verte.

 

Charles Péan, sur Wikipédia, ici  

A noter, mention de Georges Bessis dans le livre d'Eric Rondel "Zeller, un espion pour le IIIe Reich".


Biographie de Paul Lelièvre, directeur jusqu'en 1963 du Centre Georges Bessis, ici 


Souvenirs de Paul Lelièvre dans une vidéo, ici 

 

Ker Goat, site Enfants en justice, ici



Georges Bessis est cité dans le "Livre Mémorial des Déportés de France" de la F.M.D. Tome 2 (I.172) p 17

 

Ker Goat, Le salut des enfants perdus, livre en Pdf, ici 

 

Photo du musée de Bretagne et notice complète très détaillée, cliquer ici 

 

Parents de Georges Bessis : son père Henri, cliquer ici ; sa mère Georgette Delire, cliquer ici

 


Documents sur la déportation de Georges Bessis

  N° Matricule à Flossenbürg : 6858 et à Buchenwald : 42681

Fiche de Georges Bessis à Buchenwald. Source Arolsen

Fiche de Georges Bessis à Buchenwald. Source Arolsen
Fiche de Georges Bessis à Flossenburg. Source Arolsen

 
Fiche de Georges Bessis à Flossenburg. Source Arolsen

 

 

Ci-dessous, on peut remarquer la mention de la personne à joindre, son épouse "Frau B. Adeline".

Fiche de Georges Bessis à Flossenburg. Source Arolsen

  

 
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